Ce texte est écrit par Guylain Chevrier, ancien adhérent de notre association et aujourd'hui président du CDAFAL 94
Ne touchez pas à l’universalité des allocations familiales ! Il en va de la République !
Le gouvernement remet à l’ordre du jour du débat politique la question de la mise sous condition de ressources les allocations familiales. On utilise l‘argument de la justice sociale pour justifier cette volonté d’en finir avec le caractère universel de l’aide financière qui est ici apportée à la famille au titre qu’elle ait des enfants. On se demande bien pourquoi jusqu’alors, on n’avait pu parvenir à cette remise en cause, alors que Juppé Premier ministre et Jospin aux mêmes fonctions à sa suite, ont été contraints d’y renoncer ? Malek Boutih, responsable national du PS, à Europe 1 Midi, nous en explique le pourquoi : il serait tout simplement normal de revoir ce système qui ne correspondrait plus à la réalité des familles d’aujourd’hui. Tout faux !
En vérité, cette proposition qui entend permettre de faire des économies dans le domaine des comptes sociaux, arrive dans un contexte où on a désengagé les entreprises du financement de la « branche famille » de la sécurité sociale, au titre de les rendre plus compétitives après d’autres cadeaux fiscaux. Il faut donc urgemment trouver de l’argent pour compenser ces cadeaux. Une logique qui s’inscrit sous les exigences d’une Union européenne qui ne cesse de réclamer des réformes pour faire rentrer la France dans le cadre contraint qu’elle nous impose, afin de satisfaire à une mondialisation dont la seule certitude est un creusement continu des inégalités avec des écarts croissants entre les plus riches et les autres.
Mais le plus grave, passé l’explication du motif des économies recherchées que sous-tend cette démarche, c’est tout ce que l’on ne dit pas pour nous faire accepter par consensus et voie de démagogie cette nouvelle atteinte à notre Protection sociale, qui va l’affaiblir, la fragiliser.
Tout d’abord, on oublie qu’il en va d’une grande cause qui est celle de la natalité qui se confond avec la Nation, c’est-à-dire la politique familiale qui permet le renouvellement en France des générations grâce à un taux de 2 enfants par femme, bien au-dessus de l’essentiel des pays européens, grâce à un système qui a fait depuis longtemps ses preuves. Un système qui a été pensé dans l’esprit de notre République comme un bien commun, la natalité de la Nation dépassant la question des classes sociales, telle la manifestation de l’appartenance de tous à la même entité communautaire, un même pays ! Les enfants constituant l’avenir, quelle que soit la famille d’où ils viennent, ils font la France.
N’est-ce pas la population d’une Nation qui fait sa force, sa puissance, dont le renouvellement voire le développement doit être assuré par l’ensemble de ses composantes dans un même mouvement, qui reflète mieux que dans tout autre domaine l’idée de cohésion sociale, ciment du projet commun ? S’attaquer à cette universalité en ces temps où tous les repères volent en éclats, n’est-ce pas véritablement suicidaire ? En jouant sur des divisions qui conduisent à regarder le monde comme ne pouvant plus être que le fait d’intérêts propres à des groupes particuliers selon l’appartenance sociale, en dehors de tout projet commun, où entend-on nous mener ?
Remettre en cause cette universalité, c’est remettre en cause aussi la mixité du système français tel qu’il a été pensé. Il tient à ce savant équilibre avec d’un côté, la prise en compte de la diversité des conditions sociales comme pour « la couverture maladie » qui fonctionne sur le mode de « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins », les plus riches payant pour les moins riches afin que tous soient égaux devant la nécessité des mêmes besoins de santé, et de l’autre, un système universel avec les allocations familiales qui crée une autre unité à travers un encouragement de tous à la naissance qui ne tient pas compte des conditions sociales des parents, car il en va là d’un grand dessein qui est celui de la pérennité de Nation. L'égalité est là encore plus noblement politique. Il en va là aussi, de la même façon, du fait que l’on ne cherche pas à connaitre la couleur, l’origine, ou la religion des familles qui font les enfants de la société de demain.
Que ce soit Malek Boutih ou le journal de 20 h de France 2 (8/10/2014), à aucun moment on a pris le temps d’expliquer cela, de peser le pour et contre, on a menti par omission comme on sait si bien le faire. On a joué la carte de l’émotion sur le mode de l’indignation à travers une victimisation des moins aisés pris en otage de ce discours, pour jeter à la vindicte populaire les autres. Entre autres, les classes moyennes considérées comme constituées de nantis aujourd’hui, sans aucun scrupule, désignées en creux ainsi comme profitant de façon immorale d’allocations dont ils n’auraient nul besoin. N’y a-t-il pas dans cela quelque chose d’obscène ?
Ne voit-on pas que c’est au contrat social que l’on s’attaque, qui est un pacte implicite entre l’ensemble des composantes de notre Nation qui la fait tenir debout et, qu’à chaque fois, par ce genre de remise en cause on fragilise en préparant au final, la remise en cause bien plus générale de la Protection sociale ? L’idée même contenue dans la désignation de la Protection sociale sous l’expression « d’Etat-providence » en dit long du refoulement de cet héritage des acquis sociaux par bien des élites, qui loin d’avoir été acquis de façon providentielle, l’ont été à l’aune de révolutions et de grands mouvements sociaux qui ont rebattu l’histoire qui fait cette identité qui est la nôtre, dont l’universalité des allocations familiales est aussi l’expression.
On sait combien à droite certains expriment régulièrement qu’il faudrait en finir avec ce fameux « Etat-providence », qui serait la cause de tous nos maux. On fournit ici, à travers cette nouvelle fragilisation de notre système social sur fond d’opposition entre les moins fortunés et les autres, un argument de plus pour le remplacer demain par un système de protection à minima réservé aux plus pauvres justifiant de renvoyer les autres à l’assurance privée. A travers cette remise en cause, à n’en pas douter, on détricote l’idée de République sociale mais aussi d’unité de la Nation et par voie de conséquence, plus sûrement encore, l’idée même de République ! Ne touchez pas à l’universalité des allocations familiales !
Guylain Chevrier