Dans le cadre de la préparation du colloque du 20 novembre 2010 qui aura lieu à Vaux le Pénil, nous ouvrons une tribune de débat (s)
Voici une première contribution, celle de Jean-Paul Brighelli
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Maternelles — et après.
L’association Familles laïques de Vaux-le-Pénil organise le samedi 20 novembre, de 9 heures à 13 heures, à la Maison des Associations, un colloque sur l’accueil des tout petits à l’école, et me demande une contribution écrite qu’elle mettrait en ligne sur son site (1).
Paresseux comme je suis, je me suis dit : « Faisons-en en même temps une Note qui alimentera mon blog, et, éventuellement, pourra nourrir Marianne 2, qui me fait l’amitié de reprendre parfois certaines de mes divagations ».
Alors, je me lance — quitte à afficher une fois de plus mon infinie prétention à m’exprimer sur des sujets qui touchent à l’Ecole par le bout que je connais le moins (2).
Les (tout) petits à l’école : ou comment faire passer Monchéri-Moncœur, hier objet de tous les soins et soucis de ses parents, et de sa mère en particulier, du statut de dauphin unique à celui de citoyen, unus inter pares, — même si le mot peut paraître excessif, s’agissant de bouts d’choux (cailloux-hiboux-joujoux) qui pour certains tètent encore leur mère.
D’où les cris et les rugissements, parfois, souvent, à l’entrée de la Maternelle. Premier jour, première blessure (narcissique). Le choyé est noyé dans la foule de ses semblables — des deux sexes, de surcroît. Heureusement, il n’en est pas encore à l’âge où « les filles, c’est bête », et « les garçons, ça craint ».
N’empêche… (Mal) réveillé peut-être plus tôt que de coutume (une sale habitude qu’il va lui falloir conserver jusqu’à la retraite), l’enfant-roi de la veille est sommé, en dix minutes, de quitter les bras de sa mère pour affronter une étrangère dont il ne sait rien — et qui, comble de misère comme aurait dit Chimène, est parfois un étranger. Sans doute a-t-il déjà l’attribut de l’élève — le cartable qui va lui servir d’objet transactionnel et de bouclier pendant une bonne vingtaine d’années. Mais qu'a-t-il dedans ? Ce cartable, c'est tout un symbole de ce qu'il est — une tête vide, une page blanche — en regard de l'Ecole.
Parfois, même, a-t-il en tête des troubles, des contraintes, des échos perturbants. Des éclats blessants. Des certitudes étranges.
L'Ecole va d'un côté remplir, et de l'autre vider — si possible.
Il a encore des envies de sieste, l’après-midi. Parfois, il oublie qu’il est censé être propre…
L’émotion,n’est-ce pas… Ou une façon de manifester sa protestation véhémente.
Je ne sais pas si, comme l’affirmait Fitzhugh Dodson, « tout se joue avant six ans ». Ni si le « bébé est une personne », comme le disait… non pas Dolto, à qui on l’attribue souvent et à tort, mais le pédiatre anglais Donald Winnicott : une formule qui signifie, en fait, qu’il faut prendre l’enfant au sérieux, lui parler une langue non bêtifiante, et lui enseigner l’expérience des limites, bref, le construire, et non le croire abouti à trois ans, sous peine de le voir dictateur à six.
Je sais en revanche que l’Education Nationale, depuis une quarantaine d’années, sous l’influence d’idéologues post-rousseauistes (3) sans doute animés des meilleures pires intentions, a fait passer l’Elève dans la catégorie de la Personne — détruisant ce que des générations d’institutrices de la prime enfance se sont évertuées à mettre en place : un écolier distinct de l’enfant, un citoyen différent du petit roi de la maison, un être respectueux de ses maîtres et du savoir qu’ils tentent de lui inculquer — bouh, le vilain mot, dirait un Pédagogue…
Oui, le mouvement permanent de ces quarante dernières années a prétendu mettre de la douceur dans ce monde de brutes qu’était pour certains l’Ecole. « On achève bien les écoliers », ânonne aujourd’hui Peter Gumbel. « L’élève est au centre du système », disait hier Lionel Jospin. Un seul souci dans toutes les réformes : donner du pouvoir aux élèves, les affirmer comme des « acteurs » du processus pédagogiques, « construisant leurs propres savoirs » — bref, « humaniser » un univers (scolaire) qui apparaissait, aux anciens cancres devenus sociologues / psychologues / pédagogues, comme générateur d’injustices et de violence.
Les réformes létales qui ont peu à peu composé le quotient apparemment irréductible de 17% d’illettrés à l’entrée en Sixième ont été alimentées par ce seul souci : effacer l’écolier (le collégien, le lycéen) au profit d’une « personne », petit adulte auto-proclamé, tyran envers ses condisciples, méprisant envers ses enseignants, et, au fond, pas plus heureux pour autant. Parce qu’un enfant est demandeur de lois : sans cesse il se positionne à la limite de ce qu’on lui a autorisé, pour tester l’adulte en tant que porteur de la Loi. De la transformation (1970) des « Surveillants généraux » en CPE, jusqu’aux heures de « vie de classe », instituées en 1999 pour complaire à François Dubet, auteur d’un rapport sur le « Collège de l’an 2000 » (4), en passant par la Loi Jospin, la remédiation, le « respect des cultures », le communautarisme toléré ou encouragé, les coutumes religieuses les moins laïques (5), ces quarante dernières années ont été une histoire de démission. Démission de l’administration devant les groupes de pression, démission des enseignants face à des classes d’intouchables — et qui le font sans cesse savoir —, démission des parents devant des enfants qui les méprisent très vite, parce qu’ils sont en recherche d’autorité, qu’ils provoquent sans retour de bâton, et que la violence devient leur mode d’expression parce qu’ils n’en ont plus d’autre (6)
J’ai longtemps cru que la violence procédait d’un défaut d’expression — je le crois encore, sur bien des plans. Mais en fait, elle procède aussi d’un défaut de la Loi, qui n’ose pas, qui n’ose plus.
Qu’on me comprenne bien. D’aucuns croient malin de caricaturer le point de vue républicain sur l’Ecole en l’identifiant à un « tout répressif » dans lequel l’enseignant serait, peu ou prou, une hypostase du sergent Hartmann, l’instructeur des Marines dans Full metal jacket. C’est de bonne guerre, si je puis dire : le grand méchant enseignant traditionnel, destructeur de ces merveilleuses personnalités émergeantes que sont les enfants d’aujourd’hui, sous le honteux prétexte de continuer à transmettre des connaissances, d’instruire — parce qu’instruire, c’est éduquer, et non l’inverse. Il ne s’agit pas d’installer la mort et la désolation sur l’Ecole — mais d’y faire connaître la Norme.
Rien de mutilant à comprendre et respecter la Norme. Ce qui a fait Rimbaud et les fulgurances des Illuminations, ce sont les versions latines — où il excellait. Ce qui a fait Sartre, c’est l’école publique où l’on n’écrit pas « le lapen çovache éme le tin ». Ce qui a fait Camus, c’est Louis Germain, son instituteur d’Alger, qui n’était pas passé par les IUFM.
Le petit enfant arrive en classe, à deux ou trois ans, pour apprendre la Norme — doucement. Apprendre à s’asseoir quand on le lui demande — peu à peu. Apprendre à parler et à dire — et, déjà, apprendre les mots pour le dire. Il n’est pas, a priori, un animal très sociable — et c’est par la culture, lentement acquise, qu’il le devient. En comprenant que la Maîtresse a un réservoir inépuisable de contes et d’histoires — et que ça s’appelle un livre. En devenant à son tour lecteur, rédacteur, amateur de dictées et de rédactions, de problèmes et de règles de trois, puis de dissertations et de versions latines, avant d’embrasser à son tour l’aube d’été et d’être, lui aussi, un homme aux semelles de vent
Alors, oui, on l’arrache — quelques heures par jour, n’exagérons rien — à sa mère. Mais c’est pour lui apprendre la langue de la Nation — qu’elle soit, ou non, sa langue maternelle. La vraie instruction civique, elle est dans la culture — Babar et les Contes de Perrault, et Racine ou Proust — ou Céline — un peu plus tard. On le coupe de sa « communauté » — mais c’est qu’il n’y en a pas d’autre que celle des citoyens français. On l’installe dans une culture qui n’est plus celle de TF1. Ni celle de ses parents, parfois : l’Ecole, c’est un lieu étrange où le BLED est un recueil de règles et de conjugaisons, pas le village familial. Oui, le petit d’homme doit aller à l’école le plus tôt possible — pour devenir un homme.
On croyait autrefois, que les ourses devaient lécher l’amas de cellules qui leur était sorti du ventre pour lui donner forme d’ourson. Ma foi, je ne serais pas loin de penser que la maîtresse (ou le maître…) est celle qui institue réelle comme être à part entière ce Monchéri-Moncœur, qu’on lui a livré brut de décoffrage, et qu’elle amène, patiemment, à la culture qui lui donnera forme et signification — qui le polira peu à peu.
Et parler autrement, c’est faire l’apologie de l’enfant sauvage — et de la sauvagerie. Quand Monchéri passe la porte ou la grille de l’Ecole, il passe de la barbarie douce et douillette de la maison à la civilisation — et parfois, bien sûr, ça fait mal, ça coince, ça proteste. La bête sauvage éructe, bafouille, pleurniche. Grandir, ce n’est jamais simple ; apprendre, ce n’est jamais donné. Dolto ne disait-elle pas que « prétendre humaniser l’école est peut-être aussi utopique que de rendre la guerre humaine » ?
But then, you’ll be a man, my son.
Jean-Paul Brighelli
(2) Même si en annexe de À bonne école j’avais déjà offert à Catherine Bonnet-Huby, qui sait ce que Maternelle veut dire, d’imaginer un programme pour les ces trois années décisives. Mais le livre est définitivement retiré de la vente, grâce à Laurent Lafforgue. L’éminent mathématicien a trouvé abusif que j’y donne la préface qu’il m’avait octroyée en toute amitié, à l’époque. Et ma qualité d’Antéchrist (allez, j’avoue, au fur et à mesure que ma calvitie gagne, le chiffre de la Bête apparaît sur mon crâne déplumé), affichée lorsque j’ai publié, ultérieurement, Une école sous influence, l’a poussé à exiger la mort de ce livre (et des dommages et intérêts conséquents, il est bien normal qu’un mathématicien sache compter…). Bravo, Laurent.
(3) On a fait dire à Rousseau tellement de bêtises énormes que je ne saurais trop inciter le lecteur à relire l’Emile à la lumière du Contrat social… Il en est malheureusement toujours de même pour les grands esprits : des imitateurs maladroits, des suiveurs de petite taille les lisent de travers et font dire à l’illustre décédé toutes les bêtises qu’il n’a pas formulées, mais qu’il pensent, eux.
(4) Le même François Dubet tente aujourd’hui d’imposer au PS, via Bruno Julliard et quelques autres mutilés de l’intellect, un projet éducatif qui le coupera à tout jamais des 43% d’enseignants qui ont encore voté pour lui en 2007 — bravo. Et des 17 millions de parents qui ne sont pas membres de la FCPE, qui avec les deux autres associations de parents, rassemble 3,5% des « géniteurs d’apprenants ». Et ça a une voix prépondérante au ministère !
(5) Voir l’Ecole face à l’obscurantisme religieux — 20 personnalités commentent un rapport-choc de l’Education nationale (Max Milo éditions, 2006). C’est le texte — et les commentaires avisés — du célèbre « rapport Obin » sur les « Signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires » (le lire sur http://www.communautarisme.net/Les-signes-et-manifestations-d-appartenance-religieuse-dans-les-etablissements-scolaires_a345.html). Ou, plus ancien, les Territoires perdus de la République, d’Emmanuel Brenner. Ou mon propre ouvrage, Une école sous influence ou Tartuffe-roi.
(6) Je reprends ici les excellentes analyses de Michel Segal dans Violences scolaires (Autres Temps éditions, septembre 2010). Avec une préface de Laurent Lafforgue… Tu vois, je ne suis pas rancunier, Laurent.
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