Je viens de recevoir le livre de Guy Alamarguy.
C’est un écrivain seine et marnais qui, intéressé par le salon littéraire de Vaux le Pénil m’a adressé un exemplaire du roman qu’il vient de faire éditer.
Tout de suite j’ai été conquis, enthousiaste et je suis resté « collé » à l’œuvre de la première à la dernière page.
J’en ai lu des livres, de toutes sortes, sur tous les thèmes mais un comme celui-là jamais.
C’est un chef d’œuvre, du moins c’est mon avis.
Le salon littéraire organisé chaque année à Vaux le Pénil le deuxième dimanche d’octobre, le 12 octobre cette année est l’occasion pour les nouveaux écrivains ou pour ceux qui n’ont pas les têtes de gondole de se faire connaître, de présenter leurs œuvres et de rencontrer le public.
Guy Alarmarguy sera des nôtres au salon littéraire de Vaux le Pénil.
« Requiem pour l’Angèle »
Roman de Guy Alamarguy
Edition : Prem’édit 77
266 pages
Juillet 2014
17 €
Beau, sensible et émouvant.
L’Angèle, vieille dame vient de mourir. De fait, elle s’est donné la mort.
Se sentait-elle diminuée, « inutile », abandonnée après avoir été pendant des années une femme active, pauvre et généreuse ?
Le p’tit, son petit fils préféré, aujourd’hui instituteur à la retraite revient sur sa petite enfance et son enfance, accompagnées et soutenues par sa mémé, celle que tout le village creusois appelait avec respect et chaleur : l’Angèle.
Pierre Sétra, le p’tit est né pauvre dans une famille nombreuse, où père et mère faisaient le maximum pour bien élever leurs enfants malgré les difficultés de la vie.
Angèle est là, comme le guide, le tuteur du p’tit. Elle l’encourage, le protège de près et de loin.
L’essentiel de l’histoire se déroule au milieu et à la fin des années 50, voire au début de la décennie suivante.
La vie est difficile, rude mais dans ces villages de la Creuse et d’ailleurs, il existe la rigueur de la vie mais aussi la solidarité et l’amitié.
Ceux et celles qui ont vécu cette époque se reconnaîtront en partie, en classe, autour de l’école, à la fête foraine ou à la foire dans ce village où tout le monde se connaît, dans cette école publique, où le maître et les élèves se fixent le même objectif.
Les descriptions des paysages, des saisons sont écrites avec des palettes de couleurs et la poésie est présente du début jusqu’à la fin.
J’ai aimé, même adoré ce livre ….Les phrases s’enchaînent, tout est mouvement, tout est couleur et le lecteur a l’impression que l’auteur a voulu construire son livre comme un peintre de talent compose son tableau.
Le p’tit et sa mémé sont indispensables l’un à l’autre :
« Côte à côte. Main dans la main. Moi, culotte courte. Chemisette. Bretelles par-dessus. Cheveux en brosse sous le béret noir. Pas un pli ne dépasse. Sourcils froncés. Elle, droite, digne, visage soucieux, quelques rides, s’imprègne du soleil levant dans cette campagne qu’elle connaît sur le bout des doigts. Bottes en caoutchouc. Blouse à carreaux. Petites lunettes rondes. Cabas à la main. »
Qui a dit qu’une phrase devait au moins avoir un verbe ? Certaines phrases dans ce roman n’en possèdent pas, et pourtant le texte, bien construit, fluide au possible nous ravit.
Jean-François Chalot
VOICI UN EXTRAIT PUBLIE AVEC L'ACCORD DE L'AUTEUR
Extrait de « Requiem pour l’Angèle » roman de Guy Alamarguy : pages 151-152-153
À l’armistice, le onze novembre mille neuf cent dix-huit, la quasi-totalité des familles du peuple français a été touchée par la mort d’un ou plusieurs proches. Le principe de filiation a été brisé. Pépé Georges a sans doute été un des rares à échapper à cette guerre exterminatrice. Son infirmité, qui a été pour lui un lourd fardeau, lui a sûrement sauvé la vie. Il a été reformé. Pas d’emblée ! Non. Il a quand même été appelé, au début de la guerre, à Guéret, à la caserne des Augustins. Il y est resté dix-sept jours avec pour mission des permissions de promenade dans la ville. À chacune d’elles, un gradé le suivait pour être sûr qu’il ne simulait pas son infirmité. Pépé Georges n’a pas fait la guerre. Il n’est pas mort à la guerre. Il s’est marié. Il a élevé une famille de quatre enfants. La paix, c’est la vie tranquille, comme celle que pépé Georges et mémé Marie ont menée au cours de ce siècle. Ne peut-on pas laisser le peuple vivre en paix ? Est-ce lui qui doit toujours payer de sa vie, les intérêts de la grande bourgeoisie !
La guerre ! La guerre ! N’est-ce pas l’enfer ? La guerre de 14-18 a massacré tant d’innocents. Les soldats, masse hurlante à l’assaut des tranchées lancés baïonnette au canon, tiraient à l’aveuglette au milieu de l’horreur. Le sang giclait, les tripes et les boyaux se répandaient dans un amoncellement de cadavres aux entrailles dévorées de rats noirs, tas de chairs informes. Anonymes. Odeurs de poudre et de charogne. Odeurs de sang. Odeurs fétides de la mort. Corps mutilés. Cous béants égorgés. Crânes ouverts d’où dégoulinait la cervelle. Râles des agonisants. Râles interminables.
On leur avait fait croire qu’ils seraient de retour chez eux trois mois plus tard, qu’il fallait reprendre l’Alsace et la Lorraine, qu’il fallait se venger de l’affront de 70-71. L’école, les instituteurs de la république bourgeoise de Jules Ferry, les cathos, avaient exacerbé le sentiment patriotique de la jeunesse des campagnes. J’entends les mots d’André Duprat jaillir de son livre « Un pas de croix »,
« Certains aiguisent les signes de croix
Sur les poitrines de la génération montante
En vue d’une revanche à trancher. »
Parmi les morts, peu de gradés, mais le peuple, envoyé à la boucherie. Une guerre de masse. Aucun conflit jusqu’à ce jour n’avait provoqué autant de morts : près de neuf cents Français, et autant d’Allemands tués par jour, pendant plus de quatre ans. Guerre industrielle : disparition des corps déchiquetés par les obus et les canons. Guerre chimique véritable laboratoire : l’ypérite anéantissant les vies humaines dans d’atroces convulsions. Martyrs ! Borgnes, cul-de-jatte, amputés, écrabouillés, gueules cassées, charcutés, gazés. Morts ! Noms gravés sur les monuments. Morts aux champs d’horreur… Victimes de la tyrannie et de l’hystérie bourgeoise !
Poilus ! Rescapés ! Quelques rescapés des tranchées assassines, je respecte votre silence, votre deuil. Votre souffrance intime refoulée, enfermée. Victimes aussi.
Quand rendrons-nous justice au million de morts dans les tranchées et dans les combats au corps à corps ? Quand reconnaîtrons-nous le génocide parmi la longue liste de ce siècle : l’Arménie, la Shoa, le Rwanda, l’Europe centrale, la Tchétchénie et autres goulags de toutes sortes, sans oublier Hiroshima ?
Le vingtième siècle, siècle monstrueux, siècle de barbares, siècle de carnages. Nous en souviendrons-nous, à l’aube du vingt et unième siècle !
Félix est mort à la guerre de 39-45, pour sauver ses camarades. Il laissait l’Angèle dans la solitude et le désarroi. Elle avait vu les draps blancs flotter dans le ciel, le jour de la mort de Félix.
« Ah ! Si seulement avec une goutte de poésie et d’amour nous pouvions apaiser la haine du monde, » écrivait Pablo Neruda en mars 1939.