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Samedi 20 novembre 2010
Vaux Le Pénil Conférence publique organisée par le CDAFAL 77
Thème : « L’accueil éducatif des tous petits »
Conclusion par le Président du CNAFAL
Jean-Marie BONNEMAYRE
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Tout d’abord, je voudrais indiquer mon parfait accord avec les différents intervenants qui m’ont précédé à la tribune de ce colloque mais le contraire eût étonné. Je voudrais ajouter qu’il est impossible de conclure sur une telle thématique et donc je m’efforcerai de compléter, ou d’élargir le champ de la réflexion.
Tout d’abord, le « bien-être » d’un enfant est conditionné par le bien-être de sa famille par ses conditions de vie. Or, il faut le dire car on le passe sous silence mais depuis 20 ans les conditions de travail des salariés se sont considérablement détériorées. En premier lieu la multiplication des horaires fractionnés, désynchronisés de la vie familiale se sont déployés au-delà de la production dans les services pour répondre au zéro stock et au juste à temps. C’est particulièrement vrai dans la grande distribution qui emploie une majorité de femmes sur des contrats partiels, qui sont sus-exploitées, mal payés. Mais pas seulement dans ce secteur. On estime à 4 millions ce type d’emplois. Combien de sociétés de nettoyage emploient exclusivement des femmes. La précarité est leur lot et souvent les enfants « se gardent eux-mêmes » ou sont tributaires du voisinage immédiat ou de la famille.
Le dernier rapport Versini dénonce cette insécurité liée à la précarité. Car il y a aussi toutes les familles dont les membres n’ont pas d’emploi, qui galèrent tous les jours et où l’insécurité est permanente. L’AFSA (l’Agence Française pour la Sécurité Alimentaire) considère que 1,1 millions de personnes sont en insécurité alimentaire, c’est à dire ne mangent pas à leur faim, 2 millions de personnes sont considérés en précarité énergétiques. Selon le CREDOC, 30% des gens surendettés empruntent pour rembourser une dette précédente qui n’était pas liées à un achat de consommation.
En France, 2 millions d’enfants sont considérés comme pauvres. Imagine- t’on ce qu’est la vie d’un enfant qui voit ses parents ou sa mère (lorsque les deux ne cohabitent plus ensemble) tous les jours anxieuse de son devenir, se demandant comment elle fait face à ses factures , comment elle nourrit sa famille ; que dire des familles qui subissent des expulsions locatives pour cause de pauvreté chronique et qui sont « trimballées » d’hébergement provisoire en hébergement provisoire. De nombreuses études montrent la scolarité « chaotique » de ces enfants grandissant dans une famille à statut précaire. Les parents eux même dépriment, ne sortent plus, ont peur et effectivement « désertent » les lieux institutionnels parce qu’il n’y a plus d’écoute, d’humanité même auprès des services sociaux, ce que dénonçait Jean-Paul DELEVOYE médiateur de la République dans son rapport en 2009 mais aussi dans sa lettre du mois d’octobre dernier.
Nous assistons à un véritable « effondrement du social » face à la massification de la paupérisation mais aussi la raréfaction des moyens que ce soient ceux de l’Etat ou des collectivités territoriales. Cet effondrement du social accompagne aussi « l’effondrement de l’Etat républicain » qui n’est plus en capacité de faire respecter l’accès aux droits, qui est désorganisé par la multiplication de la suppression des postes de fonctionnaires. Ce sont les plus faibles qui en pâtissent et je rappelle que les familles les plus pauvres (toutes les études convergent depuis plusieurs années) ce sont les familles monoparentales et les familles nombreuses. J’ai été sensible au discours de la représentante de la FCPE qui disait que les familles font ce qu’elles peuvent et qu’il faut se mettre à leur portée. Cependant sur les horaires décalés et la désynchronisation des temps familiaux et du temps de travail, il faut faire attention aux expérimentations ; l’enfer peut être pavé de bonnes intentions. En 2003 à Belfort des gens bien intentionnés avaient proposé à la CAF de former des femmes RMIstes pour aller au domicile de femmes travaillant à temps partiel et fractionné dans les grandes surface ou dans les bureaux et embauchant à 5heures du matin. Elles auraient levé les enfants, fait leur toilette, les auraient fait déjeuner et accompagner à l’école et éventuellement assuré le repas de midi. Autrement dit on aurait « exploité » en bout de chaîne d’autres femmes pour permettre à des « supermarchés » une meilleure exploitation de leurs salariés en offrant un service pour lequel aucune contribution ne leur était réclamée !
Nous avons fait capoter le projet à la CAF du Territoire de Belfort et avec l’aide des organisations ouvrières qui ne pouvaient cautionner un tel système.
En revanche, je pense que la « crèche d’entreprise » peut être une solution acceptable là où il y a « densité » d’entreprise, là où il y a une grosse entreprise en nombre de salariés. A Belfort ( c’est ma « casquette » de Président de CAF) nous avons travaillé en concertation mais surtout la société d’économie mixte et d’aménagement du Territoire a pensé à implanter autour de la crèche de menus services utiles aux parents qui sont pressés de rentrer chez eux : dépôt de pain, produits de base, distributeur de monnaie qui évitent aux parents plusieurs détours avant ou après avoir repris leurs enfants à la crèche. Car, dans les conditions de travail, il y a aussi le temps consacré aux trajets domicile-lieu de travail. En région parisienne, on connait cela mais en province aussi. En Territoire de Belfort, le Nord Franche Comté est la première région industrielle de France (Alstom, Peugeot, Bull, General Electric, Faurécia) les grandes entreprises sont représentées et la plupart des salariés effectuent en moyenne 40 kms par jour. Cela fait aussi partie de la condition de travail qui se détériore pour les salariés sans compter la baisse des salaires depuis 25 ans dénoncée par le CERC dans une note de 2005 que le CNAFAL a largement diffusée.
Car l’enfant a un coût – l’UNAF a chiffré le coût d’un enfant au mois pour sa famille. Il est évalué à 330 euros par mois et on sait bien que le quotient familial au niveau fiscal est loin de prendre en compte le coût réel. C’est la raison pour laquelle le CNAFAL depuis plus de 30 ans revendique la mise en place « d’un salaire social à l’enfant dès sa naissance » quel que soit son rang de naissance éventuellement fiscalisable en fonction des revenus des parents.
Je remercie mon collègue de la CAF de Seine et Marne d’être intervenu sur le rôle de la CAF, partenaire irremplaçable des politiques familiales et de la petite enfance et de signaler le site monenfant.fr sur le site de la CAF qui permet d’avoir accès à toutes les solutions disponibles en matière d’offres de mode d’accueil pour la petite enfance.
L’action sociale familiale des CAF est aussi un outil important de redistribution sociale et de protection. N’oublions pas qu’à la création de la sécurité sociale, la branche famille prend en compte le « risque famille » en ce sens que l’enfant est un bien précieux pour la famille et la Nation et qu’il a droit aux meilleures conditions de vie et de bien-être.
Vous m’excuserez de citer à nouveau la CAF de Belfort mais le fait d’être en région industrielle fait que nous subissons la crise chez nous depuis 2004 (désindustrialisation) Nous avons constaté et cela nous a été signalé par le personnel des crèches que des familles ne pouvaient plus « fournir » le lot de couches-bébés pour leur petit. Certains arrivent régulièrement sales à la crèche. Le Conseil d’Administration de la CAF a réagi en accordant des dotations aux crèches à charge pour elles de les répartir en fonction des ressources des familles. Imaginez pour les enfants prématurés qui doivent s’alimenter avec des laits spéciaux « maternisés », dont le prix est entre 22 et 30 euros la boîte, les difficultés qui commencent dès ce moment là et dès le plus jeune âge pour les familles démunies.
Nous avons fait un constat similaire pour les CLSH lorsque nous avons vu des familles désinscrire leurs enfants le mercredi ou pour les petites vacances, ne pouvant s’acquitter de leur contribution même symbolique à 1 euro par jour. Nous avons alors abaissé encore les quotients familiaux pour tenir compte de cette situation.
Ensuite je voudrais revenir sur quelques principes laïques puisque la question a été posée de savoir à qui appartient l’enfant. Un laïque répond que l’enfant appartient d’abord à lui-même ; il n’est la « propriété de personne », la chose de personne ; il est un être en devenir qui a droit au respect et que l’on doit préparer à l’autonomie. Le CNAFAL a une deuxième formule qu’il faut expliciter. L’enfant a droit à une éducation laïque : Nathalie Rocailleux l’a dit, il y a dans toute éducation une part de conditionnement, un apprentissage de règles, de lois.
Ce « conditionnement » est certes inévitable mais il ne dispense pas d’expliciter », de justifier les interdits, les règlements. Eduquer c’est à la fois conditionner et déconditionner. C’est un cheminement et non une modélisation. Sartre disait « l’important n’est pas ce qu’on a fait de moi, mais ce que je fais à partir de ce qu’on a fait de moi ». Une éducation ne peut pas étouffer ; l’enfant a droit à l’erreur, à l’expérimentation, aux essais. C’est pourquoi la notion de coéducation est ici importante, je n’y reviens pas.
Je voudrais ajouter aussi qu’il faut savoir respecter les rythmes de l’enfant. Le temps de l’enfant n’est pas celui de l’adulte qui est de plus en plus contraint par les horaires, la vitesse, la compétition dans une société où seule la productivité est devenue le critère essentiel en même temps que le profit !
L’enfant est aussi un être social, c’est-à-dire que l’éducation doit lui apporter la sociabilité, l’esprit collectif, l’esprit solidaire car on n’existe qu’à travers les autres, par les autres, pour les autres. Libéralisme et individualisme sont intrinsèquement liés dans une culture de l’affrontement perpétuel pour être le « meilleur ». La culture laïque, c’est la culture de la mise en débat, de la « délibération », de la médiation, car nul ne détient la vérité.
Enfin, pour conclure, je voudrais mettre en valeur la politique familiale, spécificité française grâce à la branche famille de la sécurité sociale mais qui est de plus en plus menacée : en effet, il y a toujours la tentation de réserver la protection sociale dans son ensemble aux familles les plus démunies, ce qui veut dire qu’elles seraient sans conditions de ressources ; Ensuite, un 2ème étage, en quelque sorte, serait confié aux mutuelles et un 3ème étage aux assurances privées, banques, etc… Je rappelle que le rapport confié au député Yves BUR concernant le financement de la branche famille n’a pas encore été « rendu » mais on sait que sous prétexte « d’abaisser » encore le coût du travail, il prévoyait de supprimer les 5,4 % de cotisations patronales qui reviennent vers les salaires sous forme de prestations… !
De même, le projet de loi de financement de la sécurité sociale « détourne » une fraction de la CSG dévolue en recettes à la branche famille pour réalimenter la CADES (Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale), chargée de gérer les déficits précédents de la Sécurité Sociale. Ce qu’on ne vous dit pas c’est que la CADES a perdu 8 milliards d’euros dans la tourmente financière de l’automne 2008. Autrement dit, votre argent a été joué sur les marchés financiers et aujourd’hui on vous « culpabilise » parce que nous laissons de la dette aux jeunes générations.
Oui, la petite enfance est un « investissement pour l’avenir », à condition qu’on ne dévoie les politiques familiales. Je rappelle souvent qu’en 1947, dans une France ruinée, exsangue, les fondateurs de la Sécurité Sociale avaient octroyé pour une famille de trois enfants, un montant d’allocations familiales qui était l’équivalent du salaire d’une ouvrière de l’époque. Le dynamisme démographique qui en est résulté a permis la croissance et les grandes réalisations de la 4ème République.
Si nous avons traversé la crise actuelle moins mal que les autres (mais je considère qu’elle est toujours devant nous), c’est parce que à travers la politique familiale, tout comme avec les autres protections sociales, la redistribution sociale s’effectue et permet aux familles, soit de consommer certains biens, soit de bénéficier de services collectifs. Il est probable aussi que nous le devons à un fort secteur constitué de l’Economie sociale et solidaire (associations, coopératives, mutuelles) et à l’existence, certes précarisée, de quelques services publics. Naturellement, cet ensemble est directement menacé. Chaque pièce du puzzle compte et nous devons les défendre toutes pour l’avenir de nos enfants.
Jean-Marie Bonnemayre
DEBAT DANS LA SALLE
INTERVENTION DE LA FSU 77
Intervention de la FSU77 lors du colloque « L'accueil Éducatif des tout petit » de Vaux le Pénil
D'abord un rappel qui semble important: si les parents ne scolarisent plus les enfants des moins de trois ans, ce n'est pas par « défiance »vis-à-vis de la maternelle. Ce n'est pas par envie de pouvoir trouver mieux et de pouvoir payer pour cela. C'est simplement parce qu'il n'est plus possible d'inscrire les enfants, l'institution n'ayant pas assez de postes d'enseignant! C'est la pénurie orchestrée depuis des années par les gouvernements successifs qui, au niveau national, a fait passer le taux de scolarisation des « tout petits » comme on dit, de 35,4% en 2000 à 20% aujourd'hui... un taux qui fait presque rêver dans une Seine et Marne qui elle flirte avec les 5% seulement. Et pourtant notre département aurait bien besoin de ces sections de tout petits... car au regard de sa natalité débordante, les besoins en structures d'accueil de qualité vont continuer a se faire sentir sur un territoire équivalent à la moitié de l'Ile de France. Et c'est un point qui me semble trop peu abordé dans les échanges que nous avons ce matin : quelle autre structure que l'École, que l'École Maternelle offre un maillage aussi « opérationnel » sur tout notre territoire. L'École reste le seul service public dans bien des communes... un service public ayant déjà des bâtiments, des salles et potentiellement des professionnels aguerri si seulement l'État voulait en former.
Pourquoi ne pas profiter de ce qui existe? Mais dans des conditions d'accueil améliorées, avec des effectifs pédagogiques adaptés à l'âge des enfants... et j'en profite pour vous rappeler qu'en Seine et Marne, elles ne sont pas rares les classe de « petite section » ayant des effectif à 30 et plus, avec des intégrations d'enfant en situation de handicap.Je le rappelle simplement parce qu'il difficile de faire comme si cela n'avait pas d'impact sur le débat d'aujourd'hui. Il faut aussi réfléchir sur les continuités de l'enfance et revendiquer des allégements de classe pour le bien des enfants.
Mais là encore l'état ne souhaite qu'une chose... c'est se désengager, transférer les charges de plus en plus vers les collectivités territoriales ou bien vers les citoyens. C'est bien pour cela que nous ne regardons pas la mise en place de « jardin d'éveil » avec bienveillance... c'est peu de le dire... et que nous sommes très réticent à voir la CAF se lancer dans cette expérience qui reportera vers les familles, qui le pourront, vers les collectivités, qui le pourront, une part des coûts qui jusque là étaient supportés par l'État. Un État garant d'équité et de redistribution. Au final le coût supporté par les ménages sera supérieur... soit par leur contribution direct... soit par les impôts indirects qui ne seront plus levés pour l'État mais pour que la commune pallie les manque de ce dernier. C'est ce que nous dénonçons... et c'est pourquoi nous souhaitons la mise en place au niveau national, d'une réflexion pour construire un Service Public d'accueil de la petite enfance... un service public gage d'équité territorial... un service public qui pourrait profiter des structure déjà existantes comme les écoles maternelles.
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