Bonjour à tous,
Vous trouverez ci-dessous l'intervention de Christian Delecourt, sociologue intervenant fidèle de nos colloques, que je vous invite à lire.
Très prochainement je publierai un texte de notre ami Jean-François Chalot qui n'a pu être des nôtres ce jour là. Il portera sur la nécessité de créer une astreinte sociale pour les cas d'urgences.
N'hésitez pas à commenter ou à nous envoyer vos réactions, vos interventions si vous en avez faites afin de les publier si vous en êtes d'accord.
Bonne lecture
Patrice THEVENY
L’hébergement d’urgence en France
Le texte qui suit s’appuie essentiellement sur deux rapports parlementaires concernant l’hébergement d’urgence. Le premier est paru en Mars 2019 (Assemblée Nationale) le second en Juin 2019 (Sénat)
A/ Le cadre juridique de l’hébergement d’urgence
La politique d’hébergement d’urgence en France est régie par le code de l’action sociale et des familles qui stipule : « Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence. Cet hébergement d’urgence doit lui permettre, dans des conditions d’accueil conformes à la dignité de la personne humaine et garantissant la sécurité des biens et des personnes, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l’hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d’hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d’être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l’aide justifiée par son état…L’hébergement d’urgence prend en compte, de la manière la plus adaptée possible, les besoins de la personne accueillie, notamment lorsque celle-ci est accompagnée par un animal de compagnie. »
Cette politique d’hébergement est du ressort de l’Etat, elle est pilotée par la Délégation Interministérielle pour l’Hébergement et l’Accès au Logement (DIHAL) qui est directement rattachée au Premier Ministre.
Enfin cette politique s’inscrit dans le plan quinquennal « Logement d’abord » 2018-2022 (voir plus loin)
B/ Les publics accueillis
La demande d’hébergement d’urgence a connu une progression considérable ces dernières années, en raison de deux principaux facteurs.
D’une part la progression de la pauvreté. Entre 2006 et 2016, le nombre de pauvres a augmenté de 820 000. Le nombre de décision de justice prononçant une expulsion du domicile pour impayés de loyers ou défaut d’assurance a augmenté de 10,6 % entre 2010 et 2017 et les expulsions effectives avec intervention de la force publique ont augmenté de 33 % sur cette période.
D’autre part la progression du flux migratoire qui a marqué l’Europe et la France ces dernières années. Le nombre total de demandes d’asile s’est élevé à 35 520 en 2007 et a atteint 123 625 en 2018 (soit presqu’un quadruplement).
Qui sont les personnes « sans abri »
40 % des personnes sans abri sont des femmes : on ne s’imagine pas qu’il y a autant de femmes dans la rue car on ne les voit pas.
Il y a de nombreux jeunes majeurs, 10 % ont fait des études supérieures et environ un quart d’entre eux travaillent.
Suite à la « Nuit de la solidarité » à Paris (15 au 16 Février 2018), 3035 personnes ont été recensée dans la rue
-16% des personnes recensées avaient moins de 25 ans
-46 % sont à la rue depuis plus d’un an
-20 % depuis plus de cinq ans.
Près de la moitié des personnes n’ont jamais fréquenté un centre d’hébergement
-certaines se sentent plus en sécurité dans la rue que dans certains centres d’hébergement, en raison des vols et de la violence;
-certaines personnes qui vivent dans la rue sont des personnes souffrant de troubles psychologiques et qui ont du mal à vivre en communauté dans un centre d’hébergement d’urgence.
A noter que l’espérance de vie d’une personne sans abri est de 49 ans.
C/ Les dispositifs en amont de l’hébergement d’urgence
Les plans départementaux d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées (PDALHPD)
Pour chaque département, le plan comprend les mesures destinées à permettre aux personnes et aux familles défavorisées « d’accéder à un logement décent et indépendant ou de s’y maintenir et d’y disposer de la fourniture d’eau, d’énergie et de services téléphoniques, ainsi que de pouvoir bénéficier, le temps nécessaire, si elles le souhaitent, d’un accompagnement correspondant à leurs besoins.
Ce plan inclut les mesures complémentaires destinées à répondre aux besoins en hébergement des personnes et familles relevant du dispositif d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement vers l’insertion et le logement ».
Les maraudes ou encore tournées de rue consistent à rencontrer les personnes sans abri dans les lieux où elles se réfugient pour leur apporter autant que possible quelques éléments de confort (nourriture, hygiène, vêtements, etc…) et de réconfort (lien social) mais aussi les aider à une éventuelle orientation dans un centre d’hébergement. Les maraudes sont essentiellement portées par des Associations.
Les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO).
Les SIAO exercent, sur le territoire du département, les principales missions suivantes :
-
Recenser toutes les places d’hébergement, les logements en résidence sociale ainsi que les logements des organismes qui exercent les activités d'intermédiation locative ;
-
Gérer le service d’appel téléphonique « 115 » (appel d’urgence)
-
Veiller à la réalisation d’une évaluation sociale, médicale et psychique des personnes ou familles, traiter équitablement leurs demandes et leur faire des propositions d’orientation adaptées à leurs besoins, transmises aux organismes susceptibles d'y satisfaire ;
-
Suivre le parcours des personnes ou familles prises en charge, jusqu’à la stabilisation de leur situation ;
-
Contribuer à l’identification des personnes en demande d’un logement, si besoin avec un accompagnement social ;
D/ Les dispositifs d’hébergement d’urgence
L’État délègue en très grande partie à des associations à but non lucratif le soin d’héberger les personnes vulnérables et de les accompagner vers un logement stable.
Les capacités d’hébergement d’urgence ont augmenté ces dernières années, pour atteindre environ 146 000 places en 2018. Les financements ont également augmenté ces dernières années : ils s’élevaient à 1,47 milliard d’euros en 2014 et ont atteint 2,1 milliards d’euros en 2018 (42,9% en 5 ans)
Les principaux dispositifs d’hébergement d’urgence (source DIHAL)
Nuitées d'hôtel : 48.706 places en 2018
Missions
Accueil de personnes (et de familles) en situation de détresse, souvent orientées par le 115, dans des hôtels, à défaut de places disponibles dans les centres d’hébergement d’urgence, notamment pendant la période hivernale
Durée de séjour
Une à quelques nuits (en principe, mais dans certaines situations, notamment celle des déboutés du droit d’asile, l’hébergement peut s’avérer être de longue durée)
CHU (Centre d'Hébergement d'Urgence) : 52.347 places en 2018
Missions
Hébergement temporaire de personnes ou familles sans abri. Il s’agit d’un accueil «inconditionnel», c’est-à- dire sans sélection des publics accueillis, et notamment sans condition de régularité du séjour
Durée de séjour
Le séjour dure aussi longtemps qu'une solution durable n'est pas proposée à la personne ou la famille,
CHRS (Centre d'hébergement et de réinsertion sociale) : 45.054 places en 2018
Missions
Action socio-éducative, le plus souvent avec hébergement, dans certains cas adaptation à la vie active de personnes ou familles en détresse, en vue de les aider à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale. Certains CHRS sont spécialisés dans l'accueil d'un public spécifique ou prioritaire (femmes victimes de violence par exemple)
Durée de séjour
La situation de la personne accueillie doit faire l'objet d'un bilan tous les six mois.
Hébergement de stabilisation
Missions
Cet hébergement, ouvert 24h/24h, avec un accompagnement social, permet aux personnes éloignées de l’insertion, de se stabiliser et de favoriser leur orientation ultérieure vers des structures adaptées
Durée de séjour
Non limitée
Logements et chambres conventionnés à l'ALT (aide au logement temporaire)
Missions
Permettre l’accueil à titre temporaire de personnes défavorisées sans logement et qui ne peuvent pas être hébergées en CHRS.
Durée de séjour
Pas de limite réglementaire mais l'objectif est que la durée moyenne n'excède pas six mois
RHVS (Résidence Hôtelière à Vocation Sociale)
Missions
L’exploitant d’une RHVS s’engage à réserver au moins 30 % des logements de la résidence pour des publics rencontrant des difficultés particulières pour se loger. Les personnes isolées constituent la cible principale en termes de public.
Durée de séjour
Location pour une occupation à la journée, à la semaine ou au mois à une clientèle qui peut éventuellement l’occuper à titre de résidence principale
LHSS (Lit Halte Soins Santé)
Missions
Les LHSS offrent une prise en charge médico-sociale temporaire à des personnes sans domicile qui ont besoin de soins ne nécessitant pas d’hospitalisation
Durée de séjour
La durée prévisionnelle du séjour ne doit pas excéder deux mois, mais elle reste conditionnée à l’évolution de l’état de santé de la personne accueillie et de la possibilité d'une solution pour la sortie
E/ La sortie de l’hébergement d’urgence
Les dispositifs classiques (source DIHAL)
Les résidences sociales (accueil temporaire)
Les pensions de famille (accueil sans limitation de durée)
Les logements en sous location (à durée déterminée)
La gestion locative adaptée (avec intermédiation locative pour la durée du bail).
Le plan Logement d’abord (plan quinquennal 2018-2022) et ses cinq priorités
-Produire et mobiliser plus de logements abordables et adaptés aux besoins des personnes sans-abri et mal logées
-
Porter l’objectif de production de 40 000 logements très sociaux par an dès 2018 soit 200 000 logements d’ici 2022. Ouvrir sur 5 ans 10 000 places en pensions de famille pour les personnes isolées en situation d’exclusion. Créer 40 000 places supplémentaires sur 5 ans principalement dans le parc locatif privé, via les dispositifs d’intermédiation locative.
-Promouvoir et accélérer l’accès au logement et faciliter la mobilité résidentielle des personnes défavorisées
-
Augmenter la fluidité entre les dispositifs d’hébergement et le logement en mobilisant 2 700 logements supplémentaires en faveur des ménages hébergés en 2019 par rapport à 2018 (+20%).
-Mieux accompagner les personnes sans domicile et favoriser le maintien dans le logement
-Prévenir les ruptures dans les parcours résidentiels et recentrer l’hébergement d’urgence sur ses missions de réponse immédiate et inconditionnelle
-Mobiliser les acteurs et les territoires pour mettre en oeuvre le principe du Logement d’abord
-
Territorialiser la politique pour l’adapter aux enjeux de chaque contexte local : les territoires de mise en oeuvre accélérée du plan.
Le défi principal de la politique du Logement d’abord est la mise en place de dispositifs rénovés d’accompagnement dans le logement. La production de logements adaptés ne suffira pas à elle seule car sans un accompagnement soutenu des personnes sans domicile, l’attribution d’un logement peut échouer. Or, les dispositifs d’accompagnement dans le logement sont aujourd’hui éclatés et insuffisants. De nombreux dispositifs, gérés par l’État, les départements, les métropoles, les bailleurs sociaux et les associations, coexistent sans véritable coordination. Ce millefeuille est un frein dans le parcours d’insertion des sans-abris.
F/ Synthèse des principaux points clefs des deux rapports parlementaires
Une politique sous-pilotée dont on ne connaît ni la demande, ni l’offre, malgré des dépenses croissantes
La dernière statistique officielle date de 2012 et évaluait à 141 000 le nombre de personnes sans-domicile en France. Ce nombre est complètement obsolète aujourd’hui et en décalage avec la situation vécue sur le terrain. Cette absence de données explique en partie la perpétuation d’une gestion dans l’urgence en hiver et l’inadaptation de l’offre actuelle à des profils de sans-abri de plus en plus variés, dont un nombre croissant de familles, de femmes et d’enfants.
Malgré une hausse continue des dépenses et du nombre de places d’hébergement disponibles, les capacités des centres d’hébergement semblent aujourd’hui saturées dans certains territoires.
Dans les territoires tendus, des critères informels de priorisation des publics ont donc été mis en place, si bien que certains profils de sans-abri, comme les hommes isolés, renoncent à faire une demande d’hébergement.
Outre le manque de places, les personnes sans-abri sont confrontées à une très grande inégalité dans la qualité de confort matériel et d’accompagnement que leur offrent les différentes structures d’hébergement.
Des locaux inadaptés sont mobilisés en période hivernale puis pérennisés et des hébergements à la nuitée, avec une remise à la rue le matin, se multiplient. Des missions élémentaires, comme la distribution d’un repas le soir, ne sont pas partout assurées
Faute d’un parc suffisant et adapté aux familles, le recours à l’hôtel n’a cessé de croître ces dernières années.
Depuis 2010, le nombre de places d’hébergement financées dans des hôtels a augmenté de 251 % pour atteindre un coût total de 327 millions d’euros en 2017. Dans le même temps les places de CHRS ont augmenté de 14% et les places de CHU de 182 %.
Le manque d’anticipation dans la gestion de l’urgence
En centre d’hébergement d’urgence classique, une nuitée coûte environ 25 €. Dans les centres créés en urgence en décembre, une nuitée peut coûter jusqu’à 80 €, en raison des coûts des services de sécurité, qui peuvent multiplier la facture par deux.
L’accueil du public migrant
L’hébergement des demandeurs d’asile et des réfugiés fait l’objet d’une prise en charge par des dispositifs spécifiques, sous la responsabilité du ministère de l’intérieur. Il en résulte d’importantes difficultés de gestion, notamment car les opérateurs doivent comptabiliser les demandeurs d’asile présents dans le parc généraliste afin de facturer ces places au ministère de l’intérieur.
Quant aux personnes en situation irrégulière, elles relèvent de l’accueil inconditionnel et peuvent donc être hébergées au sein du parc généraliste. Or, ces personnes ne peuvent prétendre à un logement social ou à un emploi : leur sortie de l’hébergement d’urgence est donc très compliquée, ce qui contribue à la saturation du parc et à l’allongement des durées de séjour.
Les personnes en situation irrégulière ont besoin d’un accompagnement spécifique pour les aider à sortir de l’hébergement. Par conséquent certaines structures de l’hébergement généraliste devraient être identifiées pour l’accueil prioritaire de ce public, afin de lui assurer un accompagnement social adapté.