ECHANGES
Daniel SIRERE
Mes dames et messieurs bonsoir, je suis administrateur Force Ouvrière à la Caf 77, je suis presque le plus ancien administrateur de France.
J’interviens par rapport à la pauvreté sur un aspect qui touche profondément ceux qui en sont les victimes
On a trop souvent cité en exemple ceux qui profitent du système. Très peu d’exclus en profitent globalement par rapport à l’ensemble du système de la protection sociale française ; sécurité sociale caisse allocation familiale comprise
Cela représente une somme qui n’est pas négligeable mais qui se situe en millions d’euros , à 680 millions mais bien en deçà du détournement de l’imposition en France qui s’élève entre 14 et 16 de milliards, voire plus.
Mais en réalité mon intervention portera sur l’accélération de la numérisation. Je ne sais pas si vous êtes allé voir le film de Daniel Bleck dans sa version originale.
Je vous certifie que nous sommes à l’heure actuelle confrontés avec la mise en place du système de numérisation à une exclusion involontaire de bon nombre de personnes en difficultés.
Les lois se succèdent à un rythme presque effréné .Le personnel de la CAF ne si retrouve pas, ou très difficilement. Parfois la moulinette de croisement de fichiers fait que les applications existantes sont oubliées .Des personnes qui n’ont aucune raison d’être exclus car les lois antérieures leur permettent de continuer à bénéficier de cette protection le deviennent !
Les exemples sont multiples, cette situation est réellement vécue. Lorsque vous êtes en difficulté comment savoir quels sont vos droits par rapport à cette application informatique ?
Un administrateur de pôle emploi a soumis différents cas de figures où la CAF était dans l’incompréhension ainsi que le Conseil Départemental par rapport à des exclusions qui étaient systématiques
Ce n’est pas concevable et là il faudrait quand même qu’il y ait très logiquement une pause, une réflexion, un conseil de spécialiste pour empêcher finalement à ces personnes qui sont en réelles difficultés et qui ont toujours des droits et qui ne demandent qu’à repartir dans la vie d’être pénalisés.
Il y a une injustice, c’est cette décision du pouvoir politique d’exclure de l’APL ceux qui ont 30 000 euros d’économies.
Guylain CHEVRIER Président du CDAFAL 94, formateur en travail social
Je voudrais rebondir sur ce qui vient d’être dit sur le film de Ken Loach, "Moi, Daniel Blake", qui dévoile la réalité du système de protection social qui sévit en Angleterre. Le risque serait de plaquer cela sur notre système de protection sociale, en tombant dans une victimisation outrancière. Il faut remettre ce film dans son contexte. On est en Angleterre, le social est privatisé et même lorsqu'il ne l'est pas on lui applique les règles du marché. Le social doit être rentable, il doit répondre à un rapport objectif-résultat, les personnes passent après.
C’est-à-dire que la notion de service public n’existe pas. Le travailleur social en Angleterre est totalement déprécié. Les personnes qui sont pauvres sont considérées comme des « ratés », en raison de n’avoir pas réussi, qui n’ont plus rien à voir avec leur société, qui sont relégués à sa marge, tels que des assistés méprisés.
Nous avons une conception complètement différente en France heureusement. La loi du 29 juillet 1998 prévoit la lutte contre l’exclusion. Pour la première fois on a fait entrer le mot "exclusion" dans la loi. Pourquoi ? Avant, on disait que les familles étaient dysfonctionnantes, ce qui signifiait que, s’il elles avaient des problèmes, cela venait en général d’elles. Mais du fait de la crise économique et sociale chronique que nous connaissons, dont il a résulté bien des exclusions, de l’emploi, du logement…, on a finalement appelé ces personnes des personnes « exclues ». Parce que ce n’était pas de leur faute, on ne pouvait plus considérer que ces personnes étaient responsables de leur situation d’exclusion, c’est la société qui en devenait responsable dans les faits.
Mais pourquoi cette reconnaissance a été possible? Parce que nous vivons sous le régime d’une République laïque et sociale. C’est parce qu’il est inscrit dans notre Constitution, que « La nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » (Préambule de la Constitution de la IVe République, repris dans la Ve).
Autrement dit, l’Etat a en charge, pour une part, l’entretien matériel des citoyens pour qu’ils puissent exercer leur citoyenneté. Ce qui se traduit dans le fait que nous ayons des politiques sociales comme nulle par au monde. Nous avons par cet acquis d’une
République socialement protectrice un bien essentiel entre les mains, avec des défauts bien sûr, car elle n’est pas sans critique, mais qui est avant tout l’héritage de conquêtes sociales qu’il ne faut pas lâcher, en les confondant avec la cause de ce qui ne vas pas, l’exploitation propre à l’ultralibéralisme lié à la mondialisation financière.
L’isolement des personnes en situation d’exclusion est un vrai phénomène de société. Jean Paul Delevoye, lorsqu’il était Médiateur de la République, avait attiré l’attention sur cette question. Parce que les politiques sociales ne suffisent pas à régler le problème du délitement du lien social.
Lorsque l’on touche le RSA, on perçoit cette aide sur un compte en banque, de façon verticale. Ca ne fabrique pas nécessairement du lien social même si c’est fondamental que les minimas sociaux existent, lorsque l’on a rien d’autre. Mais ça ne crée pas de relation avec les autres.
Les Associations peuvent porter les projets d’actions collectives. Elles sont essentielles dans le maintien du lien social horizontal. Nous sommes aussi dans une société de plus en plus fragmentée ou les statuts et les rôles se divisent à l’infini, comme on le voit à travers une économie tournée vers le développement des services.
En même temps apparaissent des divisions de plus en plus culturelles, communautaires qui nécessitent d’autant plus de ramener du sens commun, pour avoir ce sentiment que l’on est tous ensemble engagé dans le même sens des choses.
Et le bénévolat dans ce contexte-là a un rôle avec les associations tout à fait fondamental à jouer. De porter des médiations collectives et d’organiser l’action commune pour défendre, un certain modèle des acquis sociaux et en même temps, ne pas laisser faire cette dégradation. Et là, je rejoins tout à fait le risque numérique, cette dématérialisation qui peut amener à une déshumanisation, dépersonnalisation de l’action sociale.
Alors que l’action sociale, c’est d’abord de s’intéresser à la personne et de prendre la mesure de ce qu'elle est, dans son humanité.
Nous avons pu donner par cette histoire, où le peuple a joué un rôle essentiel dans ce pays qui est le nôtre, une place à l’individu qui est aussi porteur à travers sa citoyenneté d’un projet de société, en écho à cette République humaniste dont nous sommes tous propriétaires. Nous avons devant nous un système capitaliste injuste, avec toutes les inégalités qui se traduisent par une tendance à la fragmentation de notre société. Pour autant, nous avons aussi une République laïque et sociale qui est un formidable outil pour se réunir, se rassembler. Elle est à défendre et promouvoir, pour moins d’exclusions et plus d’égalité. C’est aussi un enjeu de cohésion sociale essentiel. C’est à cela que l’on doit porter évidemment toute notre attention.
Je vous remercie de votre attention.
Catherine , bénévole, au MEE SUR SEINE : INFO DETTE
Je voulais dire que lors de mes permanences sur le Mée et Nangis, je rencontre beaucoup de problèmes liés à la CAF.
Aujourd’hui on numérise, mais lorsque vous avez des personnes qui ont des revenus très très faibles, ils n’ont pas d’ordinateur. De plus, beaucoup d’organismes ne font plus les photocopies. Les personnes doivent se débrouiller.
Ils n’ont pas les moyens de prendre un bus pour aller à la CAF et lorsqu’elles arrivent à se déplacer il y a toujours une personne qui leur hurle dessus parce qu’elles n’ont pas pris la bonne file.
Aux personnes qui n’arrivent pas à toucher leur pension alimentaire, la CAF dit qu’au bout d’un mois de non paiement de cette pension, elle les aide.
Ce qu’elle oublie de vous dire c’est que pour monter le dossier, elle met entre 1 an 1ans 1/2. Ce qui fait que des jeunes femmes viennent chez nous pour faire un dossier de surendettement et le montant de la somme correspond généralement à tout ce que le débiteur leur doit comme pension alimentaire.
Au bout de cette année le débiteur aura organisé son insolvabilité et il sera difficile d’apporter les preuves à la CAF.
Autre exemple, j’ai personnellement mis 6 mois pour toucher une pension adulte handicapée pour un simple papier. Car au jour d’aujourd’hui la CAF correspond avec les impôts, les impôts correspondent avec la CAF, mais avec ARCO et CNAV ça ne fonctionne pas.
Il serait peut-être temps que les différents organismes puissent croiser leurs informations ce qui ferait gagner du temps dans les différentes démarches.
Odette Tencer, médecin du travail à la retraite
Je voudrais reprendre ce qui a été dit à propos du film. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce que vous disiez.
Lorsque j’ai vu le film je me suis retrouvée aux Etats Généraux de la santé au travail. Les salariés y témoignaient de leurs conditions de travail et je pense en particulier aux salariés de pôle emploi qui transgressent les consignes de leur N+1 voir N+2 lors de l’accueil des bénéficiaires.
Il faut voir la misère qu’on leur fait pour avoir dépassé les 5 minutes d’entretien ou avoir ouvert la porte alors qu’elle était fermée.
Les conditions managériales qui sont aujourd’hui imposées dans les espaces publics, les conditions de travail et les conditions d’organisation font que l’on oublie complètement qui on a en face de nous.
Il n’y a plus de lien entre les personnes.
J’imagine que les agents de la CAF se sentent très mal traités, car souvent ils n’ont pas les moyens de faire leur travail correctement.
Je pense qu’il faudrait, si on veut lutter contre la pauvreté, réfléchir en amont et savoir comment on peut déjà accueillir correctement les personnes qui travaillent, qui sont demandeuses pour qu’elles ne basculent pas dans la pauvreté.
Jeannine JOUANIN, présidente du CDAFAL 77
Lorsque l’on parle de la CAF, de la fracture numérique, de la suppression des personnels, des objectifs de la CAF à réaliser : celle-ci cherche justement des structures, des associations pour aider, pour suppléer la CAF dans certaines missions.
Le CDAFAL.77 a répondu présent. Non pas pour suppléer la CAF, ni les personnels, mais pour aider les familles pour qui la fracture numérique est un véritable problème car ils ne peuvent pas accéder à leurs données personnelles. Nous avons donc signé cette convention pour que l’association puisse s’équiper en matériel informatique et puisse aider les familles à accéder à leurs données numériques
Et cette action va se mettre en place dans les prochains jours.
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