Voilà que nos paysages se drapent d’un voile blanc de saison. Le décor disparaît derrière lui, se dissimule à notre admiration. Le temps est venu de se terrer dans nos demeures, d’attendre patiemment le retour de la belle saison. Nous allons entrer en hivernage, nous qui ne sommes pas assez sages pour oser l’hibernation. Le feu de cheminée ou l’écran plat pour unique perspective ; l’humain a besoin d’y voir clair pour affronter l'extérieur.
Pourtant, quoi de plus beau que ce délicat flou artistique qui pare notre environnement et alimente nos rêves et nos fantasmes ? Le temps est venu de deviner, d’imaginer, de subodorer bien plus que d’admirer. Nous allons entrer dans l'ère de l’incertain, de l’improbable, du contour. C’est alors le temps des supputations, des hypothèses comme des craintes infondées. Le promeneur se perd dans ce labyrinthe des formes ; il s’y cache lui aussi pour jouir pleinement d’une nature dérobée.
Les vilains, les fâcheux, les immeubles orgueilleux, les monstres hideux sont évacués de notre champ visuel. La brume a tendu son arrière-fond, elle a anéanti les parasites d’une urbanisation délirante. Seuls les arbres émergent de ma rivière. Il se font ombres chinoises, sculptures fantomatiques habitées de fugaces visiteurs indéfinissables. Le temps est venu de croire à nouveau aux esprits, aux fées et au petit peuple des buissons.
Elfes, fées et korrigans se donnent la main. Ils peuvent à nouveau investir le théâtre de leur glorieux passé. Ils vont et viennent dans un univers où les humains trop pragmatiques, les raisonneurs et les matérialistes de tous poils n’ont plus leur place. La nature a repris ses droits, a choisi le travers pour se perdre en esquisses et en impressions fausses …
Le brouillard est davantage un pousse-au-rêve qu’un appel au crime. Malfaisants sont les scénaristes et les réalisateurs qui lui accolent cette image mortifère. Il est, tout au contraire, vie qui va renaître, liquide primordial d’une aube en formation. Il abolit les imperfections, il magnifie les évidences d’un environnement à nouveau triomphant. Je ne cesse d’admirer la Loire quand elle se pare ainsi de ses habits de grande dame mystérieuse.
Les plus grands peintres n’ont jamais rendu cette atmosphère. Je suis sous le charme d’une rivière qui surgit de nulle part, qui s’accorde avec un ciel égaré sur ses berges. Le haut et le bas sont confondus, le temps est révolu lui aussi. Le brouillard nivelle tout mais au lieu de le faire par le médiocre, par le plus petit dénominateur, il donne de la grâce et du sublime à ce qu'il enveloppe de sa magnificence vaporeuse.
Bien sûr, certains vous diront que leur moral se fracasse sur cette cruelle absence de perspective, cet horizon réduit aux acquêts, face à ce mur qu’ils sont incapables de traverser. Ils n’ont pas appris à ouvrir les yeux tout autant que le cœur, à transpercer ce merveilleux coton des songes pour planter leur imaginaire et éclairer cette brume poisseuse, d’une vie mirifique.
Osez le brouillard : il est le seul à permettre le retour des sorcières, le surgissement des monstres, l’envol des pierres, le retour du mythe. Il vous donnera des ailes, fera de vous la licorne triomphante, le chevalier glorieux, le prince du château disparu, la fée bienveillante. Il est le plus beau décor qui soit ; il pare la Loire de ce mystère qui lui va si bien.
Le soleil viendra s’y tamiser ; il prendra des teintes d’une grande délicatesse. La lumière, confusément, acceptera de n'apporter que douceur et subtilité alors que, bien souvent, elle veut tout écraser de sa puissance céleste. Le temps est venu de célébrer la nuance et la marge ; le brouillard s’invite à notre Loire et la rend plus énigmatique encore !
Admirativement sien.
NABUM